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Portrait de john_moogle
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Il y a beaucoup d'articles relatant les méfaits des jeux vidéos sur le comportement des jeunes, et le plus souvent il me mettent hors de moi tant les "informations" données sont biaisées dues à une partialité éhonté des rédacteurs. L'article que j'incrimine aujourd'hui est sorti hier, le 06 Février 2014, sur le site rtl.fr http://www.rtl.fr/actualites/article/alcool-tabac-jeux-videos-les-ados-francais-de-plus-en-plus-accros-7769500483 Si l'on pouvait penser que le titre était déjà suffisamment tapageur : « Alcool, tabac, jeux vidéos : les ados français, de plus en plus accros », c'était sous-estimer l'auteur anonyme de cet article puisqu'il en rajoute une couche dès la deuxième phrase d'introduction : « Alcool, cannabis, tabac et jeux vidéos : des consommations de plus en plus régulières pour les jeunes Français qui ont un réel impact sur leur santé». L'auteur en question devait certainement penser que l'alcool et le tabac ne représentait pas encore suffisamment l'image de vraie drogue auprès du grand public, il était donc nécessaire de comparer le jeu vidéo au cannabis. Les deux paragraphes suivant l'intro parlent exclusivement des problèmes liés au tabac, à l'alcool et au cannabis chez les ados en s'appuyant sur de nombreuses données chiffrées. Les « dangers » liés au jeux vidéos sont en réalité relatés uniquement dans la première phrase de la deuxième partie du tout dernier paragraphe intitulé : « Le fléau des jeux vidéos et autres réseaux sociaux ». On y apprend que les jeux vidéos sont une activité chronophage (comme la télé, la musique, la cuisine, la pétanque, les animaux de compagnie et bien d'autre choses, j'imagine), ce qui peut occasionner des problèmes scolaires et sociaux. Une seule phrase pour prouver ça : « Les jeux vidéos "extrêmement chronophages" peuvent également détourner les plus fragiles d'autres activités et poser des problèmes de vie sociale et familiale, relève le le Dr Olivier Phan qui voit arriver dans sa Consultation Jeunes Consommateurs certains des 26% des jeunes de 17 ans qui rencontrent des difficultés scolaires. " ». Le le Dr Phan déclare manifestement recevoir, parmi ses patients, 26% de jeunes rencontrant des difficultés scolaires, mais cette affirmation ne prouve en aucune façon que 26% des ados de 17 ans rencontrent des problèmes scolaires dus à l'addiction aux jeux vidéos... Et pourtant, regardons en détail le schéma proposé dans cet article. IMAGE(http://media.rtl.fr/online/image/2014/0206/7769501175_chiffres-cles-sur-les-addictions-au-tabac-alcool-cannabis-et-jeux-video-chez-les-adolescents.jpg) Il y est reporté que « 26% [des jeunes de 17 ans] ont des problèmes à l'école ou au travail à cause du jeu ». La source ? Inserm 2011. Comme je suis assez naïf pour penser que le rédacteur de cet effrayant article n'a pas sorti ce chiffre d'un amalgame lors de l'interview avec le Dr Phan (je mets mon cynisme de côté pour dire que ce médecin effectue très certainement un travail remarquable et nécessaire dans son centre de lutte contre l'addiction parisien) mais bien de sa source (Inserm 2011), j'ai effectué quelques recherches afin de retrouver l'article à l'origine de cette donnée chiffrée. Et là, ça se complique. Le seul article écrit par le Dr Phan (et al. 2011) parle de solutions thérapeutiques à l'addiction au cannabis. J'ai trouvé deux articles parlant des problèmes liés à l'utilisation du jeu vidéo. Le premier (Melchior et al. 2013) décrit la relation entre les jeux vidéos et internet avec le surpoids. Le deuxième (Achab et al. 2011) compare le comportement de joueurs de MMORPG français (en l'occurrence WOW), entre des populations addictes et non addictes. Il ne s'agit évidemment pas de l'article référence de rtl.fr, puisque, vous l'avez compris comme moi, le rédacteur s'est inventé des données ou les a mal comprises. Mais j'ai trouvé l'article écrit par ces chercheurs du Centre d'Investigation Clinique de Besançon intéressant et c'est pourquoi je souhaite maintenant vous le présenter. Le protocole a consisté à recruter des volontaires de plus de 18 ans parmi les guildes de WOW et à leur faire remplir des questionnaires exhaustifs sur leur parcours de vie, leur relations sociales, leurs habitudes de jeu et à leur ressenti. Si vous vous demandiez qui jouait à WOW en 2011 : la réponse est là! Ce sont donc de jeunes adultes vivant seuls (mais pas forcément célibataires), vivant surtout en ville , ayant achevé des études supérieures, la plupart travaillent mais le tiers étudie encore, et jouent pour le lien social que WOW peut procurer. Selon les indicateurs utilisés, entre 32,6% et 44,2% des joueurs interrogés (i = 448) présentent une addiction à Internet et 27,5% une addiction au MMO. La population présentant une addiction au jeu ressent, en moyenne (à propos du jeu), une plus grande satisfaction personnelle, un plus grand sentiment de puissance ou d'appartenance à un groupe mais ont un sommeil plus court et de moins bonne qualité que la population non addicte. D'une manière générale, et comme dans les autres addictions, les joueurs addicts sont moins heureux, ont une vie sociale et sentimentale moins épanouie, sortent moins et rencontrent davantage de difficultés financières et au travail. Parmi les joueurs de WOW interrogés, le quart présentent donc un comportement d'addiction semblable aux autres comportements d'addiction. Pourtant, il convient de ne pas prendre ces résultats comme un indicatif parfaitement fiable à l'addiction chez les joueurs de MMORPG français car l'étude comporte plusieurs biais. Tout d'abord, le protocole reposant sur de très longs questionnaires à remplir, il n'est pas certain que le panel ait répondu correctement aux questions, soit délibérément, soit parce qu'il ne sont honnêtes envers eux même. Ensuite, un certain nombre de populations n'est pas représenté dans l'étude : les hardcore gamers et les nolifes qui sont supposés ne pas avoir le temps de répondre aux sondages pour cause de quêtes à remplir, et les joueurs occasionnels qui ne se sentent pas concernés. Et enfin, la mesure de la dépendance aux jeux, appelée DAS dans l'article d'Achab est adaptée d'un diagnostique présent dans le DSM-IV. Cet ouvrage de référence publié par la Société Américaine de Psychiatrie est très controversé (cela dit, moins que le très récent DSM-V) car les tests de ce manuel ont tendance à augmenter la prévalence des psychopathologies. Pour toutes ces raisons, le 27,5% de joueurs de WOW addicts en France est un chiffre à prendre avec de grandes pincettes. Revenons donc à nos moutons et je vais m'adresser au/à la journaliste de RTL, au cas improbable où cette personne s'aventurerait sur notre forum de drogués. Avant d'inventer votre 26% de jeunes de 17 ans en difficulté scolaire à cause du temps passé devant les jeux vidéos (oui oui, ça fait un quart de jeunes de 17 ans en difficulté scolaire rien qu'à cause des jeux, auquel il faut ajouter ceux qui sont en décrochage pour d'autres addictions, mais aussi pour causes familiales, harcèlement, etc....), vous auriez pu investiguer la littérature scientifique et vous seriez tombé sur cet article français récent du Centre d'Investigation Clinique de Besançon. Vous auriez pu écrire avec fierté qu'un quart des personnes jouant aux MMO en France présentait une addiction aux jeux. Je vous aurai même fait confiance pour réinterpréter les résultats et appeler ça « jeux en ligne » puisqu'il faut avouer qu'aussi bien MMORPG que World of Warcraft sont des noms absolument imprononçables. Vous auriez pu expliquer combien ces joueurs sont malheureux, restent cloîtrés chez eux et dorment mal. Je ne dis pas qu'il ne faut pas surveiller les comportements d'addictions aux jeux vidéos car certaines personnes en souffrent réellement, et l'article d'Achab, bien qu'imparfait, tente de mettre en lumière cette problématique dans le cadre bien spécifique du MMORPG. Mais je suis triste que RTL, un si grand média historique français se lance si facilement dans la désinformation dans le simple but de stigmatiser gratuitement une partie de la population en faisant du sensationnalisme.

Massively multiplayer online role-playing games: comparing characteristics of addict vs non-addict online recruited gamers in a French adult population
A propos de la controverse autour des classifications du DSM

"Voler est d'une simplicité biblique, si tu ne sais pas comment t'y prendre. C'est le truc important : ne pas être du tout sûr de savoir comment on s'y prend"