Avis de Nival sur Vaporum

Souffle le chaud et le froid
Par Nival

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Revenu du confins des âges, le dungeon crawler connait depuis Legend of Grimrock une relecture moderne qui (si on ne peut pas aller jusqu’à parler de retour en grâce ou d’effet de mode) fait quelques émules. Explorer les profondeurs insondables de donjons lugubres emplis de dangers et de mystères est naturellement une proposition accrocheuse, intimement liée à l’univers de l’héroic fantasy. Vaporum, du studio slovaque (créé pour l’occasion) Fatbot Games, compte à son tour s’emparer de la formule, mais en la transposant à un univers steampunk. Simple rhabillage cosmétique ou rafraichissement en profondeur ? C’est ce que nous allons voir ici.

The Legend of Steamrock

Après une poignée de plans fixes assortis d’un texte laconique dressant grossièrement un prétexte contexte de départ, nous voilà jetés dans les bas-fonds moites et obscures d’un dédale métallique où s'épanouissent tuyauteries enchevêtrées, engrenages démesurés et pistons lancés dans d'immuables va-et-vient. L’immersion est immédiate, grâce à un rendu visuel superbe misant sur des textures fines et détaillées et des éclairages envoûtants, faisant la part belle aux effets volumétriques et d’éblouissement appuyant le caractère désolé des lieux. La bande-son est dans le ton, jouant avec brio du bourdonnement sourd des machines, du lourd raisonnement des pas sur l’acier, du plic-ploc des gouttes d’eau qui perlent des plafonds humides. Très peu de musique, le rendu "au naturel" s'avérant un bon choix pour renforcer l’atmosphère inquiétante ; on notera quelques envolées frénétiques plus ou moins mélodiques lors des combats, sympathiques mais un peu redondantes.

Quelques écueils sont quand même à noter côté graphismes : des lumières rouges et vertes des plus criardes s’invitent à la fête lorsque le jeu veut marquer des éléments de gameplay (porte ouverte ou fermée, bain d’acide, ...), ce qui jure de façon bien disgracieuse avec les habituellement très beaux éclairages des environnements.

Coté contrôle, c’est souris-clavier obligatoire. Nos développeurs Slovaques assument ainsi plein pot l’héritage purement ordinateur du genre, et quelque part "tant mieux" (du moins pour les aficionados) car au moins aucun sacrifice n’est consenti sur l’autel de l’accessibilité, le gameplay passe avant tout. En pratique c’est ZQSD pour les déplacements, A et E pour les rotations, les deux boutons de la souris pour arme principale et arme secondaire, 1234 pour les compétences spéciales, plus quelques autres joyeusetés pour les potions de soins, les potions de mana, le changement de set d’armes,... Au final il va quand même falloir être bien agile de ses doigts pour user de tout ça au cœur de combats plutôt âpres. Le curseur sert lui aux interactions avec l’environnement et bien sûr à la sacro-sainte gestion de l’inventaire et de ses stats.

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Eclairage lugubre, coursives moites, les graphismes très réussis mettent de suite dans le bain.

À voile et à vapeur

Sur ce point, pas de surprise dans le principe : on est dans du jeu de rôle traditionnel avec son lot de statistiques en pagaille (PV, résistance, attaque, précision, esquive,...). Quelques spécificités intéressantes cependant : déjà, et c’est parmi les plus grosses particularités du jeu, on ne dirige qu’un seul personnage, et non pas la sempiternelle équipe de quatre. D’aucuns pourront arguer à une simplification pas forcément bienvenue, mais cela veut aussi dire qu’il faudra plus que jamais faire des choix quant à l’orientation de son héros (et non pas composer une équipe brassant l’entièreté des compétences possibles usant de son barbare, son magicien, son archer, son voleur).

En revanche au-delà de ça, il n’est pas faux de considérer que le jeu tend vers une certaine simplification, car au final on ne trouve que trois statistiques principales : l’attaque, la résistance, et la « tech » (qui correspond à l’équivalent de la magie). Chacune se rapportant à une classe ; on a donc trois classes, ce qui peut paraitre un peu chiche (où est le voleur ?? Gros Chagrin ). Toutes les autres statistiques découleront de ces trois caractéristiques principales (qui s’incrémenteront automatiquement en montant de niveau) et d’un certain nombre de points de compétences qu’on distribuera à chaque passage de niveaux pour améliorer spécifiquement le maniement des différents types d’armes, la magie, l’esquive,... Un aspect intéressant est que pour chaque compétence on débloque à certaines étapes de la progression des bonus spéciaux qui enrichissent les mécaniques de jeu. Et l'XP est distribuée avec suffisamment de parcimonie pour nous obliger à choisir des orientations nettes, car on ne pourra jamais monté au max plus de 2 ou 3 compétences, et cela imposera de négliger les autres.

Naturellement, s’ajoute à cela l’équipement qu’on va glaner au fur et à mesure de nos pérégrinations, qui viendra encore moduler notre feuille de stats et nous octroyer d'éventuelles capacités, et s'avère plutôt bien diversifié et habilement dispensé au cours de l'aventure.

A noter sinon l’absence de jauge de faim ou soif, de fatigue, ou encore de torche, allant dans le sens de cette volonté manifeste de simplification ; pour aller à l’essentiel pourrait-on dire.

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Les effets de lumière rouges et verts à but utilitaire dénotent quelque peu, dommage.

Brume à l’horizon

Le jeu est donc plutôt (très !) séduisant de prime abord, mais la progression laisse assez vite planer quelques réserves sur le level-design. Déjà, si les décors fourmillent de détails et ménagent des styles qui se renouvellent avec bonheur à chaque étage, hormis des halls centraux très reconnaissables l’architecture des niveaux est globalement assez confuse. Pas tant quand on regarde la carte (où tout semble plutôt bien ordonné), mais en jeu, avec la vue à la première personne, les corridors paraissent souvent inutilement tarabiscotés et trop similaires, on a du mal à s’orienter ; là où même un Dungeon Master arrivait à trouver des astuces pour aider à se repérer, comme des agencements aux spécificités suffisamment marquées ou des éléments de décors remarquables placé ponctuellement. Un problème ici est que, outre donc une architecture pas bien pensée pour être facilement identifiable en vue subjective, l’abondance de détails omniprésents rend les lieux (hormis donc certaines salles centrales très spécifiques) tous très semblables, et en devient finalement un défaut.

Surtout, cette surabondance d’éléments de décors amène un problème autrement plus profond, celui de la lisibilité et de la compréhension des énigmes. Déjà, au milieu du capharnaüm ambiant, certains interrupteurs sont pas loin de passer inaperçu. Ensuite, il est parfois difficile de savoir quoi faire et quoi prendre en compte pour résoudre une énigme tellement pleins d’éléments purement cosmétique parasitent les lieux. Et que dire de certains passages secrets qui relèvent de boutons cachés au petit-bonheur la chance dans le décor, à des endroits pas spécialement notables et proche de l’imperceptible ; en fait assez souvent un rivet qui est « un peu différent des autres » ..... Il suffit de jeter un œil à des images du jeu pour cerner l’incongruité de la chose. Pour autant on peut saluer le fait que les coffres secrets récompensent toujours par des équipement spéciaux qui s'intègrent parfaitement bien aux mécaniques du jeu.

"Heureusement" si on veut, les énigmes se montrent au final relativement simples ... et le plus souvent pas très inspirées. Le jeu pâti de choix hasardeux dans certaines mécaniques et représentations, par exemple un bouton qui change le sens de fonctionnement du mécanisme d’ouverture/fermeture d’une porte ... on finit par s’en rendre compte (devant le fait accompli), mais l’idée est bizarre et pas correctement explicitée. En fait plus globalement on résout souvent des énigmes en appuyant un peu au pif sur des boutons, sans être trop sûr d’avoir vraiment compris ce qu’on faisait, enfin, tant que ça marche.

On regrettera aussi l’absence de recours à des indices textuels pour diversifier les angles d’approche : alors que le jeu recèle pas mal d’éléments narratifs, sous forme de bribes de journaux personnels, il est vraiment dommage qu’il existe si peu d’interactions entre le texte et ce qu’on est amené à faire, en dehors de trucs archi téléphonés (genre "veuillez noter le nouveau code d'accès de la zone B"...).

Pour autant, assez bizarrement (et c’est très appréciable !), les choses s’améliorent sur la fin et les 3-4 derniers niveaux réservent quelques passages plus sympas qui cassent la routine des trappes, dalles de pressions et sokoban sans génie.

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Si les niveaux sont émaillés de lieux reconnaissables, l'agencement des pièces et couloirs est pour le reste peu convaincant.

Arena crawler

Un autre élément pas toujours très inspiré, ce sont les combats.

Alors de prime abord, tout va bien : on est dans un système "classique" si on a donc joué à Grimrock, du temps réel, avec une certaine lourdeur dans les déplacements et le rythme des attaques (à base de cool-down) laissant de la place pour la réflexion et l’anticipation, et lorgnant de ce fait l'aspect stratégique que peut revêtir le tour par tour ou le "temps réel avec pause active". Donc un système un peu hybride intéressant.

Ici une importance toute particulière est donnée aux patterns des ennemis et à l’esquive, plus que dans Legend of Grimrock, et à ce titre l’action est plus soutenue. Les synergies entre armes et compétences sont à l’inverse plus en retrait, mais en même temps cela est en adéquation avec le fait de jouer un unique personnage. On notera l’implémentation judicieuse de nombreux raccourcis, vers items de guérison, différents sorts, changement d’arme, etc., ce qui renvoie plus directement au genre du FPS. Il en ressort quand même qu’on a les doigts vite tiraillés entre toutes ces touches et que les moins aguerris verront surement leur début marqué par de fréquents mélanges de pinceaux (surtout quand il s’agira d’intercaler rapidement un sort au milieu d’un déplacement périlleux …). A ce titre il peut d’ailleurs être (très !) utile de retoucher quelque peu le mapping.

Tout cela est franchement plutôt cool au départ, surtout que s’articule bien avec les spécificités des différents types d’armes et l’incidence des stats. Le problème survient quand, passé les premiers affrontements, le jeu nous place dans des endroits exigus avec un nombre important d’ennemis à combattre : le système centré sur l’esquive (avec des affrontements directs très punitifs) s’associe bien mal dans ce contexte à la lourdeur des déplacements et le manque de visibilité qu’implique le dungeon crawler, du moins sans des adaptations aussi sur ces points. On en finit par courir fébrilement dans tous les sens en distribuant coups et sorts de façon erratiques, pour des combats trop souvent brouillon.

Constat d’autant plus dommageable que le jeu se structure essentiellement en une succession d’arènes, selon un schéma extrêmement classique et redondant du type : j’entre dans une pièce, j’ouvre le coffre, et là la porte se ferme et des ennemis apparaissent. Là j’avoue que je suis tombé des nues parce que c’est une vraie régression par rapport à l’héritage du genre ! Généralement les combats s’articulent directement au sein du labyrinthe, avec des ennemis placés une fois pour toute et qui n’apparaissent pas comme par enchantement derrière soi. Le comble c’est que Vaporum offre quand même occasionnellement des combats en espace libre, et (sans grande surprise) le jeu s’en tire bien mieux dans ces moment là ! (malheureusement rares)

Un autre élément qui appauvrit terriblement l’expérience, c’est que les ennemis voient leurs statistiques augmenter parallèlement aux nôtres ... de telle sorte qu’il n’apparait jamais de différentiel (et de différence d’approche) entre son perso et les ennemis d’un type donné tout au long du jeu, et les affrontements n’en finissent pas de se ressembler.

Heureusement au milieu de cette routine assez vite désolante, les combats de boss sortent du lot et mettent bien mieux à profit les mécaniques de jeu, avec des patterns variés et parfois bien violents. Et plus globalement, comme pour les énigmes, les derniers niveaux sont plus réussis, aidés par un bestiaire qui s’enrichit de façon intéressante, et le déblocage de certaines compétences qui apporte la variété de gameplay que l’augmentation de stats échoue à offrir. Et l’affrontement final (arrivant au terme de 15 bonnes heures de jeu) est particulièrement mémorable (point où pour le coup Legend of Grimrock était plutôt décevant).

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Que "les vrais" se rassurent, la carte automatique est désactivable Clin d'oeil . Elle offre une possibilité d’annotations en tout cas bien pratique.

Une vaporeuse histoire de fluide

« Bon, et alors, il raconte quoi ton jeu ? » Aborder le scénario quand on parle d’un dungeon crawler peut paraitre quelque peu saugrenu, car généralement cela tient sur un timbre-poste et relève tout au plus du prétexte. Et ce n’est pas ce décidément incontournable Legend of Grimrock qui démentira (en dépit d’une pseudo trame plutôt sympathique esquissée de loin durant la progression ... qui s’évanouit platement sur la fin). Pourtant, c’est encore là un point où Vaporum se démarque, exposant à une réelle narration, sous la forme un brin classique de mémos abandonnés ci et là. Le truc, c’est que l’"histoire" est d’un lisse absolu, d’une prévisibilité totale, enfilant comme des perles poncifs éculés et empreints éhontés (Bioshock en tête, on peut penser à Soma également). On se trouve ainsi abreuvé de notes mettant en scène des personnages sans intérêt narrant des évènements déjà vu, ce qui n’est pas fondamentalement désagréable (le style est bon et concis ; et on a droit à une très bonne traduction française), mais tient de l’anecdotique.

Là où cela m’a posé en revanche un certain problème (et je pense que cela peut être très diversement ressenti), c’est que le jeu présente une incohérence flagrante entre cette narration très explicite ancrant les évènements dans un monde très concret, et la forme irrémédiablement vidéoludique qui fait fi de toute crédibilité dans l’agencement des niveaux, l’emplacement des objets, la construction des énigmes, et plus globalement dans l’ensemble des représentations, des situations et des mécanismes. Ainsi, là où l’immersion dans les dungeon crawler fait généralement la part belle au role play, assumant pleinement le caractère schématique de la représentation et jouant sur un contexte suffisamment vague pour y laisser planer tous les mystères qu’on veut, ici l’ambiance initialement prometteuse se délite peu à peu, butant à répétition sur une narration trop présente et en constant décalage.

IMAGE(https://lh3.googleusercontent.com/pw/ACtC-3c2vYVvftcXUXkAinNkyrYIHUcbMkq3YwDNYt37PHAGQXBwBD8xwAVi5Eiirdz4WumXyXbCrXpI6OwrZQjTjFZ1PqfwN5AAZIfDJ7ueGXS9EgyFlY9vGcT0D5ljvuB4TFSTiJ9oRVfCFDRpNnuxxvs=w1920-h1080-no)

Il y a ici quelque chose à remarquer. Une idée ?

IMAGE(https://www.indiemag.fr/sites/default/files/Forum/2.png) MITIGÉ

Vaporum fait une proposition intéressante de dungeon crawler un peu simplifié mais aussi plus musclé qu'à l'habitude, avec quelques mécaniques bien pensées. Malheureusement le titre souffre pendant une bonne part de l’aventure d’un level-design flottant et peu inspiré et d'une succession de combats en arène brouillons et répétitifs. Pour autant, une fois toutes les mécaniques de jeu et les derniers venus du bestiaire mis en place, les ultimes niveaux s’en sortent mieux et le plaisir de jeu reprend le dessus.