Avis de Nival sur The Way

The Way, à la recherche du gameplay perdu
Par Nival

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Lancé sur Kickstarter en mai 2014 et financé haut la main (si l'on peut dire, vue la somme modeste demandée de 15.000 $CA), The Way a su séduire lors de sa campagne de financement par son ambition de ressusciter le genre du "cinematic plateformer", brandissant les références incontournables de Flashback et Another World, promettant un scénario original, et illustrant son propos par des visuels en pixel art enchanteurs. Deux ans plus tard (et avec 8 mois de retard sur le planning prévu, comme a l’accoutumé avec les financements participatifs) Puzzling Dream rend sa copie, l'heure de savoir si le résultat est à la hauteur de ses ascendances revendiquées.

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Un hommage assumé (les anciens reconnaitront :P).

La voie de la nostalgie

Citer Another World, c'est évoquer une façon atypique d'aborder le jeu-vidéo, la volonté de ramener représentation, enjeux, progression et jouabilité proche d'un certain réalisme, à l'antipode des héritiers de Mario, de leur rendu schématique, de leurs compétences athlétiques débridées, de leurs "barres de vies", des segmentation en succession de niveaux sagement numérotés. Dans Another World, on est plongé dans la peau d'un type "comme tout le monde", parachuté malgré lui dans un monde qui lui est étranger, et qui va de fait s'avérer hostile. L'immersion est assurée par des graphismes aux ambiances travaillées, où chaque écran est un décor unique sans recours à la répétition de blocs, où les personnages prennent des proportions réalistes et s'animent avec un naturel confondant, où la progression est guidée par des péripéties variées, à taille humaine, bien explicitées et appuyées par de nombreuses petites cinématiques. La jouabilité qui en ressort peut paraitre lourde (surtout comparé aux jeux de plateforme références de l'époque) ; il faut voir que le simple fait de se retourner engendre une animation de quelques images ; ou encore on avance nécessairement de la longueur d'un pas, pas possible de se placer sur une plateforme "au pixel près" ; et presser la touche de saut pendant une course n'entrainera l'action que lors du pas suivant. Mais on éprouve également une grande fluidité et précision, car toute l'architecture du jeu est adaptée à ces particularités, et ainsi le rebord d'un précipice sera toujours calé sur là où se posera le pied à la fin d'une enjambée, personnage prêt à réaliser le saut parfait si le joueur appuie sur le bouton au bon moment. De plus le gameplay pourra à l'occasion s'enrichir de séquences particulières qui diversifient l’expérience de jeu (comme lorsque l'on est empoigné par un garde, ou que l'on se retrouve au commande d'une sorte de véhicule blindé).

Voyons donc dans quelle mesure The Way reprend à son compte cette approche si particulière.

Le jeu place nettement l'histoire au cœur de ses enjeux, et sait l'illustrer de fort belle manière. Il propose en effet du début à sa fin des décors splendides, variés tout en restant cohérents, transportant immédiatement dans son univers. La première scène, qui sert d'écran titre, est d'ailleurs assez saisissante : notre héros (le major Tom ; on appréciera au passage la référence ;)) s'agenouille sur la tombe de sa bien-aimée, sous la lueur sépulcrale d'un clair de Lune, en fond s'étendant un écrasant rideau de grattes-ciel. On nous invite à presser la touche 'action'. Tom plante alors lourdement une pelle dans la terre, et se met à exhumer la dépouille de sa chère et tendre. Et nous voilà lancé dans une quête éperdue sur les traces d'une civilisation oubliée, dont nos recherches passées suggéreraient qu'elle aurait percé le mystère de l'immortalité.

Là où le bât blesse en revanche, c'est sur la qualité des animations et des contrôles. On est en effet bien loin du naturel et de la fluidité qu'offraient la rotoscopie à l’œuvre dans Prince of Persia, Another World ou Flashback ; et on est tout aussi loin de ce que peut rendre une animation plus traditionnelle lorsqu'elle est maitrisée. Ici la mise en mouvement de notre personnage, très amateur, manquant de transitions, et presque risible parfois (lorsqu'on emprunte une échelle), ternit le rendu visuel global. La jouabilité aussi en prend un coup, aggravée par tout un tas d'approximations qui grèvent la prise en main : trajectoire des sauts rigide, collisions mal foutues, animation pour se baisser trop longue, déplacement à quatre patte trop lents, hauteur à partir du moment où une chute devient mortelle hasardeuse,...

Bref, dés qu'il s'agit de faire bouger tout ces jolis pixels, ça se gâte. Au demeurant, pour un jeu axé sur son histoire, ces problèmes peuvent rester négligeables sur l’expérience finale. Rappelez-vous The Fall, qui ne brillait pas non plus sur ces aspects, et restait un très bon jeu, puisque les mécaniques mises en place ne demandaient de toute façon pas une précision et réactivité folle (l'accent étant mis sur la réalisation d'actions à la manière d'un point & click) ; ambiance et intrigue faisant le reste.

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Ce genre de passage pourrait être sympa, si la jouabilité ne le rendait juste poussif.

Un sentier bien sinueux

Le problème c'est qu'en l'occurrence, The Way s'évertue à s'engager sur des terrains qui ne lui réussissent pas, mais alors pas du tout.

En effet le jeu est émaillé de phases de plateformes ou de tir parfois relativement exigeantes ... du moins, TROP exigeantes en regard de l’approximation des contrôles, ce qui amène rapidement beaucoup de frustrations et une progression extrêmement laborieuse. Et les choses s’aggravent encore lorsque le jeu veut varier les (dé?)plaisirs en proposant ici une poursuite en scooter volant en scrolling horizontal (où on se retrouve à jouer du stick par à-coup hasardeux car son caractère analogique n'est à ce moment pas pris en compte ; en fait je me suis résigné à reconfigurer les déplacements sur la croix directionnelle pour cette séquence), là du authentique et bien ardu bullet hell, de quoi s'arracher les cheveux si on n'est pas amateur du genre! Surtout qu'on retrouve ENCORE des errances de jouabilité incompréhensibles (en l'occurrence le stick analogique permet cette fois 2 vitesses de déplacement : lent ou rapide ; sauf que les directions possibles sont soit horizontal ou vertical, soit des diagonales à 45° strict ... ce qui veut dire que si on se déplace p.ex. stick à fond dans le sens horizontal, on ne peut pas réaliser en même temps des mouvements légers dans le sens vertical!), et que le décor est dans certain endroits limité par des murs invisibles qui nous bloquent par surprise alors qu'on espérait esquiver une boulette in extremis ... Tout cela pas aidé par le fait qu'on meurt systématiquement en 1 coup. On pourra louer les checkpoint salutaires très nombreux, mais qui imposent bien souvent de se re-farcir toute une séquence facile mais bien rébarbative avant d'aborder le secteur périlleux.

Et les séquences rébarbatives, il y en a, car entre deux passages bien casse-gueule, le jeu est rempli de passages sans difficulté réelle mais juste long et soporifiques, comme par exemple lorsqu'il s'agit de traverser d'échelles en échelles un large mur en évitant des chutes de sables : les déplacements sont très lents, les chutes de sables pas dures à éviter puisqu'il suffit d'attendre qu'elles cessent pour passer, mais le tout met tellement de temps qu'on serait tenté de prendre des risques pour accélérer un peu les choses ... et mal nous en prendra...
Sans parler d'un level-design qui étire la durée de vie (compter ~8h) par le biais de moult aller-retour imposés de façon éhontée, comme p.ex. se rendre à un bout du niveau déverrouiller des portes ce qui en verrouille d'autres, aller à l'autre extrémité actionner un interrupteur, revenir au terminal de départ ré-inverser le verrouillage des portes, retourner à la nouvelle zone rendue accessible pour désactiver les systèmes de sécurité, ce qui permet d'accéder à une autre succession de salles qu'on atteint en repassant devant le terminal du début....
Le jeu n'hésite pas non plus à de nombreuses redondances dans ses mécaniques : plusieurs phases de poursuites par divers spécimens de la faune locale, une séquence contre des robots-soldats qui traine en longueur en répétant en boucle les mêmes mécaniques,...

Partie plus réjouissante des festivités, l'aventure est aussi parsemée d'énigmes en tout genre, qui prennent quand même un peu trop souvent la forme de casse-têtes genre taquin ou (mécanique recyclée à plusieurs reprises) de ces grilles d'interrupteurs à synchroniser où lorsqu'on en actionne un cela en actionne d'autre. Il faut apprécier le genre, surtout que la façon forcément artificielle avec laquelle ils s'intègrent aux péripéties casse quelque peu l'immersion (pas la peine de préciser que ça fonctionne mieux dans un Machinarium). Certaines énigmes cette fois intégrées aux séquences de plateformes sont elles franchement plus sympas, même si les vraiment inspirées se comptent sur les doigts d'une main de xénomorphe. Ce qui n'empêche qu'elles pâtissent quasiment toutes d'un manque de directivité du fait d'indices visuels ou sonores trop approximatifs ; et que certaines restent malheureusement plombées encore et toujours par des problèmes de jouabilité.

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Bouger un connecteur déplacera également les connecteurs adjacents. Ç’a l'air simple dit comme ça :P.

Au bout du chemin

Mais à coté des purs éléments de jeu, qu'en est-il donc de l'intrigue en elle-même, puisqu'elle reste un élément important du titre ? Là encore il faut reconnaitre que le jeu souffle le chaud et le froid, même si ce point reste à mon sens le plus positif.
Clairement, le scénario est bon, l'idée de départ intéressante, certains paysages traversés pleins d'évocations (mention spéciale à l'arrivée dans le camp de recherche abandonné qui transporte une nostalgie palpable), la notion de temps qui passe excellente, les quelques souvenirs souvent touchant, la conclusion très bien trouvée.

Il existe cependant à mon sens de vrais problèmes de narration et de mise en scène. Certains passages mériteraient plus d'emphase, quand d'autres sont illustrés de façon très riche alors qu'ils sont nettement plus anecdotiques. Tout particulièrement, le décollage de notre vaisseau qui clos le prologue et lance le début de l'aventure aurait bien mérité une petite cinématique ou au moins un artwork ; et il aurait été de bon ton de voir notre héros faire preuve d'un tant soi peu de réaction quand arrive la fin de l'épopée !
Et puis le dernier niveau est juste atroce, en incohérence totale, tant thématique qu'artistique que vidéoludique, avec le reste du jeu.

En marge, on pourra regretter un cheminement rapidement routinier et répétitif, à base de portails rocheux requérant 3 cristaux pour être franchis, chaque cristal nécessitant de réussir 3 épreuves, etc. Mais c'est bien là le moindre des défauts qu'on pourra reprocher au jeu, et si tout le reste avait été réussi, cela serait limite passé inaperçu.

Ultime précision : le jeu propose une traduction en français, mais j'ai finalement fait le jeu en anglais qui est simple à comprendrendre et l'est surtout plus que la VF qui frise par moment le Google trad...

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Trouver les trois pierres manquantes en résolvant trois énigmes, afin de récupérer un des trois cristaux nécessaires pour activer un monolithe, qui ouvrira l'un des trois temples, qui renferme trois épreuves, etc.


CONCLUSION:
Grosse déception donc que ce The Way, qui ne manque pas de bonnes idées, et de visuels superbes, mais les voit irrémédiablement entachés par un amoncellement d'approximations qui touche tous les niveaux : jouabilité, level-design, narration... Pour autant tout n'est clairement pas à jeter : outre la beauté envoutante des lieux traversés, quelques (rares...) passages sont vraiment inspirés, et le scénario, si conté de façon parfois trop plate, reste une belle trouvaille.

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EDIT : les derniers patchs ont manifestement rendu le jeu plus simple en facilitant certains passage et rajoutant des checkpoints. À noter que de ce que j'avais pu constater sur un passage déjà assagi entre la version 1.0 et la 1.02, on passait d'une séquence clairement mal équilibrée à une insipide par sa totale absence de challenge... :/